La procession de la St Jean au Lauzet (1888)
De temps immémorial, chaque année, à la St Jean, les habitants des hameaux partent en procession à deux heures du matin, dévalent au Lauzet d’où la population entière s’achemine en chantant des psaumes, clergé en tête, les hommes coiffés de la cagoule et revêtus de la chemise des pénitents blancs et les femmes voilées de blanc.
Après la bénédiction du lac du Lauzet, la procession s’élève en serpentant sur les pentes raides de la montagne de la blanche, toujours chantant des psaumes et litanies des airs primitifs qui ressemblent aux chants arabes. En deux heures, on arrive à un petit plateau, le Seuil, où la messe se dit à une chapelle en ruine. Puis la procession et les chants recommencent et se traînent quatre heures durant, en continuant l’abrupte ascension de la montagne.
On arrive vers midi au Col-Bas. Là, plus un arbre, plus un arbuste ; la montagne pastorale, au maigre gazon, percée de rochers, et, au creux des vallons, trois petits lacs, peuplés de tritons, cet étrange amphibien, voisin des salamandres.
On arrive au lac du milieu, le lac vert, auprès duquel une croix en pierre a été placée sur une pierre levée, plantée sur sa pointe et qui paraît préhistorique. Le curé bénit le lac, puis les chants recommencent et la procession grimpe au lac supérieur, le lac noir, dont elle fait trois fois le tour. A ce moment, le curé s’arrête, ramasse une pierre, la bénit et la jette dans le lac. Aussitôt, pénitents blancs, femmes, enfants, ramassent les pierres qui ne manquent pas et les jettent dans le lac en poussant de formidables « houhou ! houhou ! » avec une vraie rage. Pendant que le curé aspergeait d’eau bénite les flots troublés, un vieillard l’exitait par ces mots : « manfat n’én bén auéou guzas qué nous manda las grélas à lous nivoulas ». « Jetez-en bien à ce gueux qui nous envoie les grêles et les orages ». Personne ne riait ; tous avaient cette mine sérieuse et tenace du paysan défendant la terre.
La procession descend enfin au lac vert, où elle trouve 360 miches que la municipalité du Lauzet envoie de temps immémorial pour cette cérémonie, et que les préfets successifs doivent être bien surpris de trouver dans les budgets, mais qu’ils n’arriveront pas à chasser.
Plusieurs curés ont essayé de se refuser à cette cérémonie à allures peu orthodoxes mais aucun d’entre eux ne l’a tenté deux fois. On les aurait jetés eux-mêmes au fond du lac noir ou plutôt que d’abandonner cette coutume antique.